Accordéoniste

En 2011, je pars, dans Lanaudière, à la rencontre de joueurs d’accordéon. Mon but est de recueillir le répertoire pratiqué, d’analyser les techniques de jeux et de m’imprégner de leur style. Évidemment, je désire partager mes découvertes ! Ma route m’amène à Saint-Lin-Laurentides chez un musicien hors pair, M. Maurice Beauchamp.

Maurice Beauchamp le 30 septembre 2011.

Maurice Beauchamp, joueur d’accordéon, pianiste et violoneux.

Né dans le rang Sainte-Marguerite (Côte double) à Saint-Jérôme en 1931, Maurice Beauchamp est en contact avec la pratique de l’accordéon dès son plus jeune âge. Quelques voisins, les deux oncles (Léo et Ferrier Beauchamp), la mère et la grand-mère maternelle de Maurice jouaient de l’accordéon. C’est auprès de cette dernière qu’il fait l’apprentissage de son premier morceau vers l’âge de quatre ans, Nouvelle agréable, un cantique. Il joue la pièce à son père qui lui dit : « C’est beau, mais il faudrait que tu apprennes à jouer avec les quatre doigts. » Maurice jouait seulement à un doigt. Son père, Azarie Beauchamp, est sa plus grande influence. Il était un joueur d’accordéon reconnu dans sa paroisse. Des gens venaient le rencontrer pour l’entendre, apprendre son répertoire et son ornementation.

Un bon dimanche, en se berçant et en fumant sa pipe tout en jouant son air, M. Azarie Beauchamp consentit à son fils le prêt de son instrument, un accordéon « Sapin » en do. Maurice Beauchamp raconte :

Moi je l’imitais avec une planche pour couper le pain. Je faisais pareil comme lui. Un moment donné, il me l’ôte des mains et me mit son accordéon sur mes genoux. Ça voulait dire qu’il consentait à me le prêter. Moi je pensais, quand il m’ôtait la planche, qu’il n’aimait pas ça que je joue avec cette planche-là, c’était pour la cuisine. Moi j’avais tout mon temps, quand t’es jeune, t’as rien à faire. Quand mon père jouait, j’apprenais ses morceaux. Pis on avait le gramophone aussi.

Participants à une pièce de théâtre interprétée sur un char allégorique dans le cadre du centenaire de Saint-Jérôme en 1934.
Avant : Azarie Beauchamp à l’accordéon, la fille d’Henri Desjardins, Henri Roy à l’accordéon, Paul Aubertin au violon (en remplacement de Frobé Drouin qui travaillait lors de la photo).
Arrière : Gabrielle et son père Henri Desjardins, sa mère Mme Henri Desjardins, Zoël Drouin, Yvonne Demers (Mme Henri Roy) et Marie-Louise Légaré (Mme Zoël Drouin).

Un peu plus tard, la famille a un piano et Maurice, alors jeune adolescent, commence à pianoter. Vers 14-15 ans, il débute le violon auprès de son père. Il avait demandé à ses parents pour les fêtes de « remonter » le violon. Les cordes étaient détendues et il manquait une « main » [chevalet] et un archet.

En 1947, avec son frère aîné Marcel (accordéon) et son nouveau voisin Claude Bertrand (guitare), M. Beauchamp (violon) forme un trio avec lequel il joue lors de nombreuses noces à Saint-Jérôme et à Sainte-Anne-des-Plaines. C’est en 1952 que le trio prend fin lorsque la famille Beauchamp déménage à Saint-Lin-Laurentides. C’est alors que Maurice parcourt les veillées et les concours d’amateurs de sa nouvelle paroisse avec son frère Georges qui, entre temps, avait appris la guitare.

C’est vers 1960 que Maurice Beauchamp délaisse l’accordéon diatonique, pendant trente ans, pour l’accordéon-piano avec lequel il interprète la musique populaire de l’époque. C’est durant cette même période qu’il forme un groupe de musique de danse populaire et de folklore, en tant que pianiste, avec Marcel Aubin, Pierre Carrière, Robert « Bébert » Tourangeau et Luc Lavallée. Comparses de longue date, les membres du groupe se produisent encore aujourd’hui dans des centres de personnes âgées.

Le répertoire traditionnel de Maurice Beauchamp est constitué d’une belle variété de pièces musicales : reels, reels gigués, valses, valses-clog, marches, galopes, gigues (6/8) et polkas. Son répertoire lui provient de son père, mais aussi de rencontres musicales et de disques 78 tours.

Pour lui, il est important de bien reproduire ses morceaux, mais il est créatif en modifiant certains passages. Il explique : « Il y a aussi des morceaux qui ne sont pas joués tout à fait à notre goût, ça nous tente de changer un petit bout qui nous tape sur le yoyo comme on dit. Ça, ce petit bout là, tu le mets à ton goût. Ça l’arrive ça. »

Deux des grandes forces de Maurice Beauchamp sont sa musicalité et sa sensibilité harmonique qu’il sait mettre à profit dans ses interprétations. Contrairement à son père et à bien des joueurs, il a développé l’accompagnement (basses/accords) à la main gauche sur un accordéon Hohner deux rangées la/ré. Lorsqu’il en ressent le besoin, il enjolive ses mélodies par des nuances et des ornementations. Pour ce faire, il utilise des « trilles », des doubles notes et des notes en octave. M. Beauchamp a aussi le sens de l’improvisation. À l’écoute, on discerne une progression rythmique ou mélodique dans chacune de ses parties. Lors de la répétition d’une phrase musicale, il fait une variation afin de texturer sa pièce.

L’exécution de ses mélodies se fait en fonction de la danse, il pense aux danseurs en accentuant le premier temps des parties. Pour faire giguer, il interprète le Reel de la guénille avec un jeu bien détaché et soutenu. De plus, il joue avec l’intensité de la pièce pour dynamiser l’interaction avec le gigueur. Son swing et sa cadence à l’accordéon diatonique sont dans la lignée de ceux d’Alfred Montmarquette et d’Arthur Pigeon. Précis rythmiquement, il a un swing carré et efficace sur les temps forts, contrairement aux accordéonistes contemporains qui vont plutôt appuyer les contretemps (temps faible). Il est un des rares musiciens traditionnels à conserver un style de jeu ancien (avant 1970).

Quoi qu’il ait transmis sa passion pour la musique à ses enfants et à ses petits-enfants, Maurice Beauchamp n’a guère eu le privilège de transmettre à sa descendance l’héritage musical de ses ancêtres. Il l’a tout de même transmis fièrement à Philippe Jetté, jeune accordéoniste de Saint-Jacques dans Lanaudière.

Dans sa carrière de musicien, Maurice Beauchamp a participé à quelques émissions de radio et de télévision, notamment à CHLT-TV, à CKVL, à l’émission Y a plein de soleil (TQS) et à Deux filles le matin (TVA). De plus, il a remporté le trophée Philippe Bruneau pour le meilleur joueur d’accordéon au concours de Denis Daigneault à Saint-Hyacinthe. Maintenant retraité du métier de cultivateur, Maurice Beauchamp est toujours actif sur le plan musical. Il s’exécute notamment au piano lors des rassemblements hebdomadaires de l’AQLF Rive-Nord à Terrebonne et au violon lors des soirées organisées par Les amis du Folklore à Saint-Lin-Laurentides. Il demeure un passionné alerte qui souhaite être encore actif de nombreuses années.

Rédigé par Philippe Jetté, le 17 octobre 2012 et révisé le 31 octobre 2017.

Source : projet Accordéoneux de Lanaudière, entrevue réalisée par Philippe Jetté auprès de Maurice Beauchamp, le 20 octobre 2011.

Maurice Beauchamp à son domicile le 30 septembre 2011.

Maurice Beauchamp au violon le 30 septembre 2011.

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