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Dans son livre « La musique et la magie : étude sur les origines populaires de l’art musical, son influence et sa fonction dans les sociétés », Jules Combarieu nous fait remonter à la nuit des temps où le chant prit forme. Les primitifs étaient dirigés par l’imagination et le sentiment. À cette époque, le rythme réglait à la fois les mots, les sons et les pas. C’est la caractéristique de l’art primitif. Les danses étaient mimétiques. Elles imitaient ce que le magicien invoquait à l’Esprit. Le chant magique était présent dans toutes les scènes de la vie quotidienne : guérir un malade, à la guerre, en travaillant, demander de la pluie, etc. Les formules magiques ont été chantées avant d’être dite et ensuite écrite. Combarieu nous expose plusieurs rites, de tuer un enfant pour demander de la pluie jusqu’à danser pendant plusieurs jours et d’imiter une guerre triomphante pour créer le courage par la simulation de la défaite de l’ennemi, accompagné de la danse et du chant bien sûr. Le mime et la danse se sont dissociés au cours des siècles. La danse de la pluie est, pour les indigènes, leur plus vieille tradition. Le premier instrument à corde est un arc à flèche. Certains peuples d’Afrique disent qu’ils jouent de l’arc lorsqu’ils font de la musique.

La répétition dans la musique a pour origine la magie chantée. Le fait de répéter trois fois revient souvent, tout comme le chiffre trois dans nos chansons traditionnelles. La divinité aime les chiffres impairs. Il y a plusieurs formes de répétitions : transposition, rythmique intégrale ou fragmentaire. On retrouve même la formule énumérative pour guérir les glandes.

On retrouve la magie également dans la religion. L’homme invoque le Dieu Tout‑Puissant, il lui demande de veiller sur lui et sur les siens et lui demande pardon. Les chants et les gestes religieux ont des origines magiques. « La musique est un pouvoir de séduction et de charme. » [La neuvaine a des procédés d’incantation magique. Elle est une répétition et invoque la Vierge et Dieu.] Dans le Kyrie eleison, on retrouve la forme A-A-A-B-B-B-A-A-A ou A-B-A, tout comme dans la majorité des incantations magiques. Même chez les animaux, on retrouve une action magique. Le mâle séduit par sa voix, et la femelle se laisse charmer.

M. Combarieu nous rappelle que le chant magique peut aussi être utilisé pour ramener des morts qu’on croyait endormi, faire perdre la férocité aux bêtes, entraîner la sécheresse, avoir des vents violents, faire passer la récolte d’un voisin sur sa terre et peut même brûler celui qui le chante s’il ne contrôle pas son interprétation.

Chez les Égyptiens, dans leurs rites, les formules devaient être exécutées sans intonation fausse, sinon ça compromettait le résultat. Quand une personne était malade, on disait qu’il était tel ou tel Dieu et qu’il possédait les mêmes immunités que ce Dieu.

« Le son est produit par le mouvement, tout est mouvement dans le monde, donc le monde est musique. »  Anciennement, on croyait que le système solaire possédait sept planètes et c’est pour cette raison que la semaine et nos modes musicaux (gammes) sont divisés en sept. Les modes les plus anciens sont divisés en cinq ou six notes pour ensuite passer par neuf notes avant d’arriver généralement à sept. Pour les primitifs, chaque note a un pouvoir particulier. Chaque mode était choisi en raison des objectifs, soit de calmer ou d’exciter les esprits. Les modes ont été délaissés en cours de route pour les modes majeur et mineur. Le mineur est plus vieux que le majeur. Au 16e siècle, les danses sont presque tous en mineur. L’avènement du mode majeur arrive vers la fin du Moyen Âge.

Le thrène était chanté dans les événements malheureux comme la mort tandis que le péan était plutôt pour des événements joyeux comme la résurrection ou le triomphe à la guerre.

La berceuse est un chant magique pour endormir. Le travailleur primitif chante pour évoquer l’Esprit ou pour pratiquer un effet sur les outils qu’il utilise et sur la matière qu’il travaille. Sans lui, son but ne peut être atteint.

Le couplet sert à exprimer une situation, c’est descriptif, et le refrain est au-delà de l’histoire. Il y a quelque chose de plus fondamentale que la situation. Le chant primitif était constitué d’onomatopées. Le poète a modifié le chant et a gardé seulement la partie incantatoire, soit le refrain qui est inintelligible. Le refrain est devenu la seule partie de la chanson qui a un rapport avec le chant magique. Des refrains peuvent avoir eu recours à l’imitation des formules magiques, ce qui est une parodie.

Nos banquets avec leur « toast » et leur prière sont d’origine rituelle.

Quelques définitions

Chant magique : chant ayant répétition, refrain et incantation.

Charme et charmeur : magicien. Ex. : On faisait charmer une plaie par le charmeur. Charme vient du mot latin « carmen ». Le carmen a désigné une formule magique et aussi un chant.

Consonne explosive : p.

Consonne sifflante : s.

Consonne dentale : t, d.

Enchanter : action très spéciale qu’on exerçait sur un objet ou sur une personne à l’aide du chant.

Incantation : association du chant et de la magie (très ancien).

Ode : musicien qui chantait ses propres vers; tout d’abord, ce fut un magicien. Chant magique. Ode était utilisée par l’église pour désigner les neuf parties du canon.

Phrygien : un des modes de la musique des anciens Grecs, au caractère fier et impétueux, intermédiaire entre le mode lydien et le mode dorien. Les habitants de la Phrygie aimaient particulièrement ce ton plein d’élan et d’allégresse.

Sources

Ce résumé de l’ouvrage de Jules Combarieu sur la musique et la magie a  été écrit par Philippe Jetté en 2009 dans le cadre d’un perfectionnement en chant et en chanson traditionnelle avec Danielle Martineau grâce au soutien du Conseil des arts et des lettres du Québec.

Combarieu, Jules. La musique et la magie : étude sur les origines populaires de l’art musical, son influence et sa fonction dans les sociétés, A. Picard et fils, Paris, 1909, 383 p.

Les formulettes d’élimination au jeu, comme « Am stram gram », se retrouvent dans tous les folklores du monde. Certains chercheurs soulèvent l’hypothèse que cette poésie primitive viendrait de formules magiques délaissées par les sorciers, mais reprises par les enfants.

La comptine « Am stram gram » tirerait son origine d’une incantation chamanique de Scandinavie chantée en norois, une langue commune utilisée au Moyen Âge. Selon l’historien Jean-Pierre Poly, la comptine a dû apparaître avant le IXe siècle. Voici une comparaison étonnante de l’incantation scandinave en norois (à gauche) avec la comptine québécoise (à droite).

Emstrang Gram,

Bigà bigà ic calle Gram

Bure bure ic raede tan

Emstrang Gram

Mos !

Am stram gram

Pic et pic et colegram

Bour et bour et ratatam

Am stram gram

Mais que signifient les mots de cette mystérieuse comptine ?

Toujours-fort Grain

Viens donc viens, j’appelle Grain,

Surviens car je mande au brin,

Toujours-fort Grain.

A Manger ! [cri final]

 

Tan ou brin = baguette des sorts à qui la tourneuse commande.

Gram ou grain = « grain de la Lune », le loup céleste, étoile du soir qui poursuit l’astre au crépuscule. L’ancêtre de notre loup des fabliaux, Isengrin, brutal et glouton.

 

Source : Karolina Resztak, « Am stram gram » ou à la recherche des origines de la poésie », Continents manuscrits [En ligne], 5 | 2015, mis en ligne le 15 octobre 2015, consulté le 30 avril 2020. URL : http://journals.openedition.org/coma/589 ; DOI : https://doi.org/10.4000/coma.589

Poly Jean-Pierre, « Am stram gram… » La chevauchée des chamans », L’Histoire, 2006/1 (n°305), p. 60-60. URL : https://www.cairn.info/magazine-l-histoire-2006-1-page-60.htm